L’année paysanne

straw-3582461_1920

Une tradition pleine de sens

L’agriculteur ne travaille pas aux 35 heures. Il a logiquement divisé l’année à sa manière en respect total avec son environnement. Quelles leçons en tirer?

Année paysanne – année calendaire

Si tant est que la plupart d’entre nous connaissent le terme « Chandeleur », c’est grâce aux anciennes traditions paysannes. Dans le calendrier chrétien, cette « Fête des chandelles » ou le 2 février marque la fin officielle des 40 jours de Noël et, dans le calendrier paysan, le début de la nouvelle année agricole.

L’année paysanne ne s’oriente pas sur notre année civile, mais sur les cycles de croissance et de récolte. En conséquence, l’année paysanne – entre la Saint-Martin le 11 novembre et la Chandeleur le 2 février – est quasiment suspendue, car les travaux des champs ont été en grande partie interrompus durant cette période.

Les différentes traditions de la Saint Martin à la fin de l’année paysanne par exemple : les récoltes sont rentrées, les fruits et les légumes-racines sont mis en conserve pour les maigres mois d’hiver et les rutabagas excédentaires ou autres sont utilisés pour confectionner des lumières la Saint Martin et son cortège de lanternes. Le bétail, les légumes et les céréales excédentaires sont mis en vente. Le produit de la vente permet d’acheter des vêtements chauds, des outils, des bougies ou de l’huile pour lampe, afin d’avoir suffisamment de lumière pendant les mois sombres pour effectuer les travaux de réparation nécessaires à la maison et à la ferme. Le bétail abattu, qui n’est ni vendu ni fumé ou salé pour l’hiver, est fraîchement mis dans la marmite ou dans le four. Les « plats de viande » sont dégustés avec le jus de raisin, à peine fermenté.

L’occasion de faire la fête se présente de toute façon lorsque les greniers et les réserves sont pleins et que la dîme fiscale a été versée au seigneur féodal et au clergé.

« Jusqu’à la Chandeleur, les fermes ne devaient pas avoir consommé plus de la moitié de leurs réserves de nourriture et de fourrage. »

La Chandeleur

Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, la Chandeleur marquait un tournant dans l’année agricole : à cette date, les fermes ne devaient pas avoir consommé plus de la moitié de leurs réserves de nourriture et de fourrage. Les domestiques devaient avoir terminé les rubans de paille pour lier les gerbes de céréales, la fermière et les aides devaient avoir fini de filer le lin et la laine de mouton. C’est ce que rapporte la devise paysanne : « Lichtmess bei Tag ess und bei Nacht Spindel vergess ». Ce n’est pas pour rien que la période précédant la nouvelle année agricole s’appelle « Schindertage » (les jours de corvée). Pendant que les dernières tâches étaient accomplies, les domestiques espéraient être à nouveau embauchés l’année suivante, car après la fête de la Chandeleur, le paysan décidait avec quels employés il allait renouveler le contrat pour un an.

Le début de l’année paysanne

L’année agricole commençait en février, car en plaine, les semis devaient être effectués en mars déjà. Et ce, avant que l’herbe ne commence à pousser en mars. Les prairies devaient alors être nettoyées pour enlever le fumier épandu en automne. Selon le temps, les paysans pouvaient aussi déjà « aller au bois » pour rassembler les bûches coupées et déposées en automne et en hiver. Pour la cuisine et la lessive, le besoin en bois de chauffage était grand toute l’année.

Dès le mois d’avril, on se mettait à semer les pommes de terre. A l’époque, il y avait bien plus de variétés à planter. La « Saphir », la « Bénédiction des champs », la « Jaune plus précoce que toutes ». Ce ne sont là que quelques exemples de la diversité des pommes de terre de l’époque et de leurs noms fantaisistes, qui ont pour la plupart disparu des champs aujourd’hui. 

Les bonnes années, on pouvait commencer à récolter le foin tôt en mai. Mais avec le changement climatique et ses conséquences régionales, cette pratique devient peu à peu la norme.

L’été

Ce que les machines agricoles font aujourd’hui de plus en plus rapidement, les paysans et paysannes, les ouvriers et ouvrières agricoles au dos courbé devaient le faire à la main pour un petit salaire. Faucher, épierrer, ratisser et ramener à la maison étaient autant de tâches pénibles. Et cela prenait du temps.

Les travaux agricoles de l’été se prolongeaient jusqu’en juillet, souvent même jusqu’au début du mois d’août. On appelait aussi le mois de juin le mois de la jachère. En effet, même sans label IP Suisse ou bio, il était évident pour les paysans du Moyen-Âge qu’un ou deux champs étaient laissés en jachère chaque année afin que les sols et, avec eux, toute la petite faune et la petite flore puissent se rétablir. Les sols exploités étaient fertilisés en juin avec du fumier et du lisier.

En juin et juillet, l’année agricole devenait un peu plus calme en matière de travaux dans les champs. En revanche, il s’agissait à nouveau d’améliorer et de réparer les râteaux, les barrages, les chariots à ridelles et tout ce qui était nécessaire pour faire tourner le domaine. A l’époque, c’était un travail d’homme. Les femmes s’occupaient de la grande lessive dans de grandes cuves en cuivre, des travaux ménagers quotidiens et cultivaient les vergers.

« Au Moyen-Âge déjà, les paysans savaient que chaque année, les champs étaient laissés en jachère pour permettre aux sols de se régénérer et, avec eux, toute la petite faune et flore. »

La récolte

En août, la période des moissons commençait déjà. Orge, blé, avoine, seigle et épeautre. Une fois toutes les céréales récoltées, des fêtes de la moisson étaient organisées un peu partout, avec des noms différents selon les régions, auxquelles tous les bénévoles étaient conviés. Mais à peine les céréales étaient-elles stockées en sécurité qu’il fallait déjà récolter les jeunes pommes de terre en août et septembre, ainsi que les pommes et les poires qui étaient déjà mûres et tombaient des arbres.

En octobre, il s’agissait de récolter les pommes de terre restantes, les rutabagas, les betteraves sucrières et les navets. Les carottes et autres légumes-racines, si essentiels à notre alimentation en hiver, étaient également prêts à être récoltés et, avec la récolte des choux, l’année agricole touchait déjà à sa fin. Et atteignait ainsi son point culminant.

Autour de la Saint-Martin, les festins et les cortèges de lumières se multiplient à nouveau. Tandis que les boucheries s’attaquent aux bestiaux, les cuisines paysannes font de la pâtisserie comme s’il n’y avait pas de lendemain et que la gourmandise de Noël n’était pas encore à notre porte.

L’hiver

Entre la Saint-Martin et la Chandeleur, l’année agricole marque une longue pause. Mais l’oisiveté n’est pas de mise. Les pommes qui n’avaient pas été consommées fraîches après Noël étaient coupées en janvier et séchées au four sur une grille, comme les poires auparavant. 

La choucroute devait également être mise en conserve. Toutes les familles s’aidaient à couper le chou, à le mettre dans de grands tonneaux en bois ou en faïence et, selon les cas, à l’affiner avec des baies épicées, à le recouvrir de sel et à le sceller avec une planche en bois. 

Autrement, il reste essentiellement des travaux de réparation à effectuer et de nouveaux outils à fabriquer jusqu’à la Chandeleur. Et vivre des provisions produites tout au long de l’année, en espérant que le travail des os et de la terre auront donné suffisamment. Car l’objectif est que moins de la moitié des réserves ne soient utilisées au début de la nouvelle année agricole.  Ce n’est qu’à cette condition que l’on pourra passer le reste de l’hiver et le printemps – pauvre en nourriture – jusqu’à ce que les premières récoltes soient faites en juin, que les ruches produisent du miel et que les poissons remplissent les nasses dans les ruisseaux.