Changer le système et maintenir notre niveau de vie
Tout le monde parle du climat. Nous aussi. Nous ne voulons pas renoncer à notre qualité de vie.
La bonne nouvelle : ce n’est pas nécessaire ! Mais …
SOMMAIRE
Introduction
Selon les statistiques, tout va bien
Le calcul est incomplet
Net zéro ne suffit pas
Urgence, Appel, Marche
Par où commencer et comment ?
1. Chaînes de valeur durables
2. Consommation en connaissance de cause
3. Agriculture adopté aux conditions locales
Mise en oeuvre
Abbréviations
Documents de référence et liens
Situation actuelle
Nous pouvons conserver notre qualité de vie, continuer à consommer avec plaisir et joie de vivre, mais il faudra changer notre mode de vie : s’adapter ne suffit plus. En consommant d’une manière responsable (ODD 12), nous influençons automatiquement notre propre santé (ODD 3), le réchauffement de la planète (ODD 13), et même la pauvreté mondiale (ODD 1) et la faim (ODD 2).
En d’autres termes, nous pouvons changer notre mode de vie et nos systèmes alimentaires et contribuer à améliorer la qualité de vie dans le Sud et à réduire le réchauffement climatique, sans pour autant devoir réduire notre qualité de vie!
Les rapports du GIEC le montrent régulièrement : le secteur alimentaire est l’un des plus grands producteurs de gaz à effet de serre au monde. En 2019, 22% des gaz à effet de serre provenaient de l’agriculture ↵.
Comment stopper le réchauffement climatique à 1,5°C ? Pour atteindre l’objectif climatique de Paris, il faut réduire les émissions de gaz à effet de serre, et ce de 40 à 70%, selon le modèle comptable et le secteur. Par où pouvons-nous commencer de la manière la plus efficace ?
Le Sustainable Development Solutions Network (SDSN), une initiative mondiale des Nations unies pour des solutions durables, appelle à une transformation du système alimentaire mondial.
Le comité scientifique Avenir Alimentaire Suisse, qui regroupe plus de quarante chercheuses et chercheurs d’institutions suisses de premier plan, écrit : « La transformation du système alimentaire mondial constitue l’un des leviers les plus importants pour atteindre les 17 ODD et l’objectif climatique de Paris.«
Selon le guide du comité ↵, remis solennellement à Monsieur le Conseiller fédéral Guy Parmelin lors du 1er Sommet suisse de l’alimentation 2.2.23, « l’alimentation est responsable d’environ 25% des impacts négatifs sur l’environnement du pays, causant ainsi autant de pollution que le domaine de l’habitat (qui inclut la consommation d’énergie liée à l’habitat, la construction de logements, les meubles et les appareils ménagers) et nettement plus que la mobilité privée (14%) ».
Selon les statistiques, tout va bien
Les émissions en Suisse sont en baisse et s’élèvent à près de 5 tonnes d’équivalents CO2 par personne par an. Mais les émissions de nos importations ne le sont pas. C’est-à-dire que nos statistiques ont certes l’air bonnes, mais uniquement parce que – c’est ce que veut le protocole de Kyoto ↵ – les gaz à effet de serre (GES) importés n’y sont pas comptés. Les statistiques montrent les émissions dans les pays de production, pas dans les pays de consommation. Nous importons deux fois plus de gaz à effet de serre que nous n’en produisons ici ↵. Bien sûr, nous exportons aussi des biens dont la production a émis des GES en Suisse, mais l’impact environnemental global de notre consommation reste malgré tout deux fois plus élevé, comme le montrent les statistiques (des GES produits ici) ↵.
Pour l’ensemble de l’alimentation à l’intérieur et à l’extérieur de la maison, l’empreinte de gaz à effet de serre de la Suisse est d’environ 22,5Mt CO2 eq par année. Cette empreinte doit être réduite de 40% d’ici 2030 (↵ p34).
Le calcul est incomplet
Pour la chaîne de valeur alimentaire globale, ce calcul ne suffit toutefois pas. Tout au long des filières, des ressources sont consommées (eau, énergie, matériaux) et, outre les émissions comptabilisées comme gaz à effet de serre, telles que le CO2, le méthane, le protoxyde d’azote etc., des substances toxiques et des polluants apparaissent dans l’air, le sol et l’eau ; déjà dans les pays de production et pas seulement chez nous. Nombre de ces facteurs influencent la santé de tous les êtres vivants, la biodiversité et donc, au moins indirectement, le climat.
« Nous devons tout mettre en œuvre, avec une priorité absolue, pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre de moitié d’ici 2030»
Net zéro ne suffit pas
Il y avait déjà un consensus au sein du GIEC 2007 sur les causes du réchauffement ↵ : « La majeure partie de l’augmentation observée de la température moyenne mondiale depuis le milieu du 20e siècle est très probablement due à l’augmentation observée de la concentration anthropique (c’est-à-dire causée par les êtres humains) de gaz à effet de serre ». Il ne faut donc qu’un calcul simple pour comprendre que le plus grand levier contre le changement climatique sera la réduction de la production de GES.
Notre société ne peut toutefois pas se passer totalement des émissions de gaz à effet de serre. C’est pourquoi une autre équation, un peu abstraite, vient s’ajouter : On produit certes des GES à un endroit, mais on essaie en même temps d’extraire du CO2 de l’atmosphère à un autre endroit. L’objectif est d’absorber autant de GES que l’on en produit et d’obtenir ainsi, du moins sur le plan comptable, un résultat net zéro.
Zéro net d’ici 2037, par exemple, signifie qu’à partir de 2037, on cherche à extraire de l’atmosphère autant d’équivalents CO2 qu’on émet (à partir de 2037). Zéro net d’ici 2050 signifie que l’on ne vise cet objectif que pour 2050. C’est déjà ça. Seulement, « l’extraction » ne remplace pas la réduction urgente et nécessaire de la production, il peut tout au plus la compléter. En plus, les mesures proposées comportent des risques considérables : Selon l’IPCC-AR6 (p.40), le reboisement, une meilleure gestion des forêts, la séquestration du carbone dans le sol et la restauration des tourbières sont des possibilités de capter le CO2, mais que se passe-t-il si les arbres replantés sont abattus et utilisés comme bois de chauffage, si les tourbières sont à nouveau drainées, etc. Nous ne sommes donc pas les seuls à craindre que cette compensation soit un outil qui permette de continuer simplement comme avant. C’est pourquoi de tels projets sont souvent qualifiés de greenwashing.
Urgence, Appel, Marche
La Marche Bleue, actuellement en route de Genève à Berne, appelle « l’ensemble de la société, en particulier les acteurs politiques, économiques et associatifs, en concertation avec la population et les scientifiques, à tout mettre en œuvre, en priorité absolue, pour réduire de moitié nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et atteindre le zéro net avant 2050, tout en protégeant nos écosystèmes et en garantissant l’équité dans nos sociétés ».
Par où commencer et comment ?
Parmi tous les secteurs (construction, transport, systèmes alimentaires) à fort impact climatique, c’est dans le secteur alimentaire que chacun d’entre nous peut agir dès aujourd’hui et contribuer à une amélioration, sans devoir attendre la volonté politique ou un cadre légal.
Le rapport du GIEC met en évidence les domaines dans lesquels il est le plus urgent d’agir. Le comité scientifique Avenir Alimentaire Suisse et le conseil citoyen prescrivent des objectifs et des mesures concrètes qui influencent le pacte climatique de toute la chaîne de valeur alimentaire.
« Les adaptations de l’alimentation et de la consommation sont une condition impérative pour la réalisation des ODD, car ces objectifs ne peuvent pas être atteints uniquement par des améliorations de la production. Pour réduire l’impact environnemental global à un niveau écologiquement supportable, un changement marqué de la consommation alimentaire est nécessaire. Cela signifie une alimentation principalement à base de plantes (flexitarienne), qui s’inspire des recommandations alimentaires nationales et du régime alimentaire Planetary Health Diet. Cette alimentation s’accompagne d’une forte réduction de la consommation de viande par rapport aux modes de consommation actuels en Suisse, d’une réduction significative de la consommation de produits laitiers et d’œufs, ainsi que d’une diminution de la consommation excessive de boissons alcoolisées, de sucre industriel et de café. Par contre, la consommation de légumes, de légumineuses, de noix, de céréales et de fruits doit être augmentée. Le comportement de consommation et l’alimentation doivent être adaptés aux besoins nutritionnels individuels, afin d’éviter le gaspillage alimentaire et une consommation supérieure aux besoins d’une alimentation saine. Les légumes et les fruits consommés devraient, dans la mesure du possible, provenir d’une production régionale, saisonnière et adaptée aux conditions locales, sans transport aérien ni serres chauffées. Les produits moins transformés et contenant moins d’additifs sont par ailleurs à privilégier », recommande le comité scientifique Avenir de l’alimentation en Suisse dans son guide.
Un changement de la consommation alimentaire entraîne un changement de l’ensemble du système alimentaire; les consommateurs ne peuvent pas y arriver seuls.
Nous avons besoin de SYSTÈMES ALIMENTAIRES DURABLES, tels que l’agroécologie, UNDROP (la Déclaration des Nations Unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales ouvre la voie à un système alimentaire durable, résilient et social ↵), la souveraineté alimentaire (Via Campesina a inventé le terme pour une stratégie de développement et un mode de vie durables basés sur les besoins dans les régions rurales ↵), Planetary Health Diet, etc.
Le Guide « L’avenir de l’alimentation en Suisse » fixe des objectifs concrets.
«Une modification de la consommation alimentaire entraîne une modification de l’ensemble du système alimentaire, les consommateurs ne peuvent pas y arriver seuls.»
1. Chaînes de valeur durables
Les trois facteurs les plus importants le long de la chaîne de création de valeur sont :
- Un commerce transparent, des revenus équitables et des prix socialement acceptables tout au long de la chaîne de valeur. Le comité scientifique Avenir Alimentation Suisse fixe l’objectif suivant : « Les employés travaillant dans les chaînes d’approvisionnement des produits alimentaires consommés en Suisse doivent bénéficier d’un revenu et d’un salaire suffisants pour vivre d’ici 2030 ».
- Des circuits courts et sains pour réduire l’impact de notre consommation sur l’environnement et la vie ici ainsi que dans le Sud global. « Plus de 80% des terres nécessaires à la production des aliments consommés en Suisse se trouvent en dehors du pays et plus de 95% des effets négatifs sur la biodiversité ne se produisent pas en Suisse… L’empreinte sur la biodiversité de la Suisse est quatre fois supérieure aux valeurs limites mondiales ». Notre « consommation de denrées alimentaires et l’importation d’aliments pour animaux en provenance de pays dont les « points chauds de biodiversité » sont menacés, comme le Brésil (soja, café, riz), l’Afrique de l’Ouest (cacao), la Colombie (café) et l’Indonésie (huile de palme, cacao), ce qui entraîne la déforestation et la perte de biodiversité dans les écosystèmes tropicaux humides. » « Le changement d’affectation des terres dans le Sud a des répercussions mondiales telles que le changement climatique et la perte de la biodiversité, qui affectent à leur tour directement l’économie et la population suisses. » (selon le guide du comité scientifique Avenir Alimentation Suisse).
- Produits de saison, alimentation flexitarienne axée sur les plantes et aussi peu transformée que possible dans le commerce. L’offre dans les magasins doit permettre aux consommatrices et consommateurs de contribuer le plus facilement à la réalisation de l’objectif climatique de Paris et des ODD !
2. Consommer en connaissance de cause
«Un changement de régime alimentaire en faveur d’une alimentation essentiellement végétale permet de réduire l’impact environnemental négatif de l’utilisation d’azote d’environ 30% et celui de l’utilisation de phosphore d’environ 20%.» écrit le comité scientifique. Cela signifie: moins de consommation de viande ↵, moins de gaspillage alimentaire ↵, moins de surconsommation et de malnutrition.
Acheter des aliments durables dans le respect du climat signifie en outre :
Moins de déforestation liée à l’alimentation. Elle est un moteur important de la perte de biodiversité dans le monde et a été estimée à environ 102 km2 par an pour la consommation alimentaire suisse.
Moins de produits importés. 15% des émissions de gaz à effet de serre du secteur alimentaire proviennent du transport international. Cela correspond à 3% des gaz à effet de serre mondiaux !
Respect des droits de l’homme et de l’UNDROP. Selon le comité scientifique Avenir Alimentation Suisse, environ un cinquième des ménages agricoles vivent avec des revenus inférieurs au minimum vital (mesuré par l’aide sociale). Et, « dans les pays d’où la Suisse importe des denrées alimentaires et des matières premières, un salaire horaire vital n’est actuellement souvent pas garanti pour les employés de la production de denrées alimentaires. »
3. Une agriculture adaptée aux conditions locales
L’exploitation intensive et non durable a entraîné la perte de nombreuses petites structures paysagères telles que les haies. « Cette perte est encore accentuée par l’utilisation de grandes quantités d’engrais et de pesticides, un ensemencement pauvre en espèces et une utilisation mécanique uniforme. » … Une grande partie des « émissions de CO2 dans le système alimentaire sont principalement dues à l’utilisation d’énergies fossiles (p. ex. pour la production d’engrais, de combustibles et de carburants) ». Le comité scientifique constate que « l’utilisation d’énergies fossiles doit être évitée autant que possible à l’avenir et remplacée par d’autres sources d’énergie, technologies et systèmes de production (p. ex., une culture accrue de légumineuses). »
Une agriculture durable, en harmonie avec la nature :
- Suit les principes agro-écologiques. Exploitation respectueuse du sol, qui produit de l’humus, utilisation minimale d' »intrants » pour protéger les organismes vivant dans le sol et l’environnement, et valorisation aussi globale que possible de la production (minimisation du gaspillage alimentaire tout au long de la chaîne de valeur).
- A besoin d’un « bon » sol. Il peut réguler le régime hydrique et constitue, après les océans, le deuxième plus grand réservoir de carbone. Mais, selon le comité scientifique, nos sols cultivés « sont potentiellement concernés par la perte de matière organique du sol, ce qui a des conséquences négatives sur de nombreuses fonctions du sol et donc sur la fertilité du sol dans son ensemble », et réduit aussi considérablement leur capacité d’adaptation au changement climatique.
- Les animaux ont leur place dans notre agriculture, la Suisse compte 920’000 ha de prairies. Les ruminants transforment l’herbe que nous ne pouvons pas digérer et contribuent à la formation d’humus. Mais pour les animaux aussi, il faut des circuits courts (si possible pas de fourrage importé), une agriculture adaptée aux conditions locales (moins de fourrage provenant de terres cultivées qui pourrait être utilisé pour la nourriture humaine etc.) et un élevage adapté aux espèces.↵
Mise en oeuvre
Il est encourageant de voir comment de plus en plus d’acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux s’engagent à atténuer le changement climatique. Les villes, les entreprises, la société civile, les initiatives transnationales et les organismes publics-privés sont « sur le coup ».
La pandémie a montré que nous sommes capables de changer nos habitudes de vie à court terme. Il existe suffisamment de points de départ pour que chacun puisse commencer dès aujourd’hui !
Abbréviations
IPCC: Intergovernmental Panel on Climate Change →
SDG: Sustainable Development Goal. Agenda 2030 für nachhaltige Entwicklung – die Schweiz und die SDGs →
SDSN: Sustainable Development Solutions Network, a global initiative for the United Nations
SDSN Suisse : Réseau des Solutions pour le développement durable →
GES: Gaz à effet de serre
UNDROP: Déclaration des Nations unies sur les droits des paysans et des autres personnes travaillant dans les zones rurales →
Documents de référence et liens
Documents de référence:
– Les Objectifs de Développement Durable, ODDs →
– IPCC Climate Change, 6th assessment report, Mitigation of Climate change, 2022 Summary for policy makers →, Factsheets →
– Office fédéral de l’environnement OFEV, Inventaire des gaz à effet de serre de la Suisse→
– Analysis of food and environmental impacts as a scientific basis for Swiss dietary recommendations →
– Comité scientifique Avenir Alimentaire Suisse SDSN-Suisse : L’avenir de l’alimentation en Suisse →
Le guide du Comité scientifique Avenir Alimentaire Suisse →
– Les recommandations de l’Assemblée Citoyenne →
Liens complémentaires:
Office fédérale de l’environnement OFEV, Climat: En bref →
OFEV, Effets de l’alimentation sur l’environnement →
OFEV, Les quatres étapes d’un écobilan →
Energiestiftung Schweiz, Hintergrundpapier Graue Energie, inkl. Definitionen →
Energiestiftung Schweiz, Konsum und Energie, so senken Sie Ihre Umweltbelastung →
FAO, Livestock and Landscapes →
Treibhauspodcast, Episode 41 – März 2023 – für eine klimagerechte Landwirtschaft →
le courrier, 17 avril 2023, article de Nathalie Gerber Mccrae: Le goût amer des crédits carbones →