Une Sécurité Sociale de l’Alimentation (SSA)
Le droit à la nourriture est un droit fondamental, nous en avons déjà parlé dans l’article Le Droit à une alimentation adéquate. Mais tous.x.tes n’ont pas accès à une alimentation adéquate et au juste prix.
L’aide alimentaire, un outil bienvenu pour une situation d’urgence, n’est pas souhaitable sur la durée. Comme diverses études l’ont démontré (liens à la fin du texte), elle ne permet pas aux gens en situation de précarité de se relever et de se projeter dans un avenir plus propice. En recevant de l’aide alimentaire, ils risquent au contraire de rester en marge ou même en dehors de la société. C’est pour cela que l’aide alimentaire doit rester un outil d’assistance dans une situation d’urgence et sur une durée limitée.
En plus du fait qu’une alimentation adéquate et durable ne soit pas accessible pour tout le monde, beaucoup de productrices et producteurs n’obtiennent pas le prix juste pour leurs produits.
Une Sécurité Sociale de l’Alimentation pourrait servir les deux partis.
Les trois piliers de la SSA
L’idée d’une Sécurité Sociale de l’Alimentation, SSA est née en France et est aujourd’hui vivement discutée en Belgique et même en Suisse. Similaire à l’AVS, la SSA serait financée par cotisation pour garantir l’accès à l’alimentation sans discrimination.
Les trois piliers de la SSA sont
L’universalité, c’est-à-dire tous.x.tes ont le droit à la SSA et accès à une alimentation adéquate.
Le financement par cotisations: les SSA sont gérées en dehors de l’État.
La gestion démocratique des caisses.
Universalité
Idée : Chaque habitant.e reçoit un certain montant (en France et Belgique, on vise € 150.- par personne et par mois), soit en bons d’achats style Migros cumulus, soit une application style TWINT, soit sur une « carte de débit alimentaire » spéciale. Le montant pourrait être augmenté pour les familles à bas revenu ou les personnes en rupture mais, vu que tout le monde aurait 150.-/mois, personne ne verrait la différence entre les récepteurs d’aide sociale et les autres à la caisse du magasin. Il n’y aurait ainsi pas de stigmatisation.
Cela donnerait, en France, un budget de 120 Mia € par an et cela reste une bonne nouvelle pour l’industrie car actuellement, l’agriculture française ne pourrait pas satisfaire cette demande. Il faudrait donc y inclure des produits conventionnels et les grandes surfaces (ev. des rayons spécialisés ou clairement marqués dans les différents rayons).
Les limites d’utilisation seraient soit géographiques, soit par produit, choisis selon des critères spécifiques d’agriculture paysanne à taille humaine, de durabilité, de prix juste et de circuit-court. Le montant devrait être dépensé dans le mois et ne serait pas cumulable. Une idée supplémentaire est que si le montant était reçu en monnaie locale, cela encouragerait fortement les circuits courts.
Financement
Le financement d’une SSA doit être socialement acceptable. Les dépenses sont-elles financées par les cotisations des membres, les impôts ou d’autres taxes ? Les modèles de financement suivants sont actuellement en discussion :
- dans les charges salariales, comme l’AVS etc. (quel % pour quel montant?),
- par des taxes d’état, comme la TVA, sur certains aliments comme peut-être les A.U.T. (Aliments Ultra Transformés),
- sur le profit avant amortissement des entreprises (des calculs en France ont donné un chiffre de 8% de la valeur ajoutée),
- des compensations CO2 pour soutenir l’agriculture paysanne de proximité (donner accès à des paniers à des familles à bas revenu et personnes en situation de précarité),
- dans les charges de logement, incluses dans les loyers, permettant notamment:
– le soutien de projets en circuits courts (deux coopératives aux Vergers de Meyrin ont changé leurs statuts pour les inclure)
– la subvention de bons d’achats pour circuits courts (ex: Genève Avenue)
– la distribution de paniers (ex: LOCALI à Genève)
Gestion
Il faut que la SSA soit prise en main au niveau macroéconomique politique en mettant autour de la table tous les acteurs des systèmes alimentaires. C’est un projet démocratique qui nécessite un changement de paysage des magasins et services de restauration. MAIS attention: la SSA n’est pas une institution publique, peu importe qui arriverait au pouvoir, tout comme l’assurance santé, la SSA perdurerait.
La gestion tripartite par les producteurs, les mutuelles et les syndicats assurerait la stabilité.
En même temps qu’assurer le droit à l’alimentation pour tous les habitant.es et des prix justes pour l’agriculture locale paysanne, il faudra évidemment faire en sorte que les €150.-/mois ne soient pas dépensés uniquement pour des produits ultra-transformés. Là aussi, plusieurs idées sont en discussion. Faut-il faire des réductions sur les prix selon ce que l’on achète? Où est-ce que la SSA devrait être payée dans une monnaie locale (comme le Léman) pour privilégier les circuits courts ? Un des principes de toutes les SSA dont nous avons connaissance actuellement est que les produits issus de l’agriculture paysanne et de proximité sont privilégiés, et les filières de produits conditionnés sont choisies selon des critères de durabilité, prix juste et circuit-court.
Une autre question se pose: que faire avec le bénéfice si les cotisations dépassent les charges? Là aussi, il y a une multitude d’idées :
- La subvention de cantines d’écoles à prix unique
- La subvention de cuisines de quartier dans des maisons de paroisse inutilisées depuis longtemps pour la préparation de repas à prix unique avec p.e. des invendus de marchés de gros
- Le soutien de projets de filière paysanne et de proximité, éventuellement payé en monnaie locale (Léman)
Exemples et principes communs
Pour mettre en place une SSA, il faut une politique publique sur l’alimentation, et pour élaborer cette politique, il est judicieux de créer un organe participatif et paritaire – à l’image du Conseil National de l’Alimentation en France* ↵
Tous les projets SSA en France sont sur https://securite-sociale-alimentation.org ↵. Les plus connus sont:
– La caisse commune à Montpellier ↵
– Pour une Sécurité Sociale de l’Alimentation en Alsace à Strasbourg ↵
– Le collectif solidarité alimentaire Saint Etienne, Auvergne, Rhône-Alpes ↵
– Au maquis au Sud Lubéron (Vaucluse) ↵
– La Caissalim à Toulouse <a href= »https://securite-sociale-alimentation.org/initiative/caissalim-toulouse/ » target= »_blank » rel= »noopener »> ↵</a> ↵
L’offre Locali (Genève) ↵ va dans la même direction, même si le contenu des paniers n’est pas (encore) libre. Il couvre 50% de la nourriture de base d’un adulte, et le mélange est fait selon les recommandations de la Société suisse de nutrition et son régime Foodprints. Les circuits courts, le végétal et le bio sont favorisés, avec le moins de déchets possible.
Plus qu’une mode
Les idées et les inventions qui sont d’actualité naissent à différents endroits et relativement en même temps. L’électricité est un bon exemple de la manière dont un sujet est abordé sous différents angles, pour aboutir ensuite à un résultat qui sert le bien commun. Dans le cas de la prévoyance vieillesse et des caisses d’assurance maladie, des systèmes similaires, mais pas identiques, ont également été développés à différents endroits et de manière relativement simultanée. Les exemples ci-dessus montrent que le droit à l’alimentation est lui aussi abordé simultanément sous différents angles. Les projets qui cherchent à mettre en œuvre ce droit sont tous uniques, en fonction de leur environnement et de leurs participants. Ils ont en commun d’exiger des circuits aussi courts, paysans et artisanaux que possible et de vouloir renforcer le lien consommateur-producteur. Les uns commencent avec les consommateurs dans le besoin, les autres avec les producteurs locaux.
Nous partons du principe que cette tendance va se poursuivre et c’est une bonne chose, un projet peut apprendre d’un autre, une amélioration continue a lieu.
Mais tant que les différentes initiatives ne couvrent pas l’ensemble de la population, l’universalité mentionnée plus haut n’est pas garantie et les plus démunis ne peuvent pas obtenir leur droit à l’alimentation. Donc la SSA ne sera vraiment efficace que lorsqu’elle deviendra obligatoire et nous reprenons l’exemple de la prévoyance vieillesse, où l’on peut s’affilier à une caisse de son choix, mais où l’on doit obligatoirement être affilié. Les caisses étant séparées localement, les gens auront intérêt à s’affilier à une caisse proche de chez eux puisque les « bons d’achat » sont en premier lieu destinés aux produits agricoles et artisanaux locaux.
Liens:
La France qui a faim, Bénédicte Bonzi, 2023 →
Collectif pour une Sécurité Sociale de l’alimentation →
Pour une sécurité sociale de l’alimentation, Ingénieurs sans frontières, 2023 →
Le programme mieux manger pour tous, Ministère des solidarités, de l’autonomie et des personnes handicapées de la France, 2023 →
FOODprints, Société Suisse de nutrition, 2017 →
Die Tafeln als Form der Lebensmittelhilfe in der Schweiz, Sarina Debora Cadusch und Florence Reisgies, 2022 →
* Le Conseil National de l’Alimentation en France est une instance consultative citoyenne et associative rattachée à plusieurs ministères qui vise à rendre des avis pour orienter les politiques publiques sur l’alimentation.