Rencontre avec Carole de C’est Patou!
PHOTO – Une vue de la jolie petite épicerie bio de Trelex C’est Patou, Route de Genolier 1
On adore venir faire nos courses chez Patou (Jeu de mot pour C’est Patou, l’épicerie bio de Trelex), commander en ligne chez Patou, offrir des cadeaux de chez Patou et on se réjouit de pouvoir entrer un peu plus dans ton monde. Chaque village suisse devrait être doté d’une épicerie comme la tienne avec le nécessaire à proximité et surtout sans emballage inutile. Alors la première question qui me vient, avec une petite pointe d’admiration, c’est:
Qu’est-ce qui t’a poussée à franchir le pas d’ouvrir une épicerie ?
Avec mon mari, on a toujours aimé bien manger. Avant le Covid, on allait s’approvisionner en France au Biocoop des Rousses. Quand les frontières ont fermé, on a bien été obligé de trouver une alternative, on a alors rencontré Patricia alias Patou dans son garage à la Cézille. J’ai commencé à y travailler quelques heures par semaine. Son garage devenant trop petit, elle cherchait, puis on a cherché ensemble, un espace pour ouvrir une épicerie et on a eu le coup de cœur en découvrant ce lieu plein de charme à Trélex. Patou a ensuite décidé de se tourner vers d’autres horizons, et nous avons repris l’affaire, et le nom.
L’ épicerie possède aujourd’hui un excellent site internet qui permet de commander en ligne, c’est formidable. Comment avez-vous réussi cette transition ?
Mon mari Olivier est créateur de sites internet et pour nous il n’était pas question d’ouvrir le magasin sans la possibilité de commander en ligne. On est bien conscient qu’une épicerie comme il y avait avant dans tous les villages, c’est fini. On a aussi besoin de pouvoir faire ses courses depuis la maison et aujourd’hui le shop (www.patou.ch) nous ramène environ 1/3 de notre chiffre d’affaires. Nous livrons du mercredi au vendredi entre 17h et 19h et les frais de livraison sont offerts si le client ou la cliente recommande dans les 2 semaines, ça vaut vraiment le coup, notamment pour les fruits et légumes.
Alors la question qui me brûle évidemment : est-ce qu’aujourd’hui l’épicerie est viable ?
Cela fera 3 ans en septembre qu’on a ouvert et on est toujours plein d’idées et de motivation. Cela reste tout de même difficile, on parle beaucoup du bio, de l’importance d’acheter du local mais l’action ne suit pas toujours. On a la chance d’avoir des clients et des clientes fidèles, on profite aussi de certaines vagues comme la révolte paysanne qui a un peu ouvert les consciences mais honnêtement c’est toujours juste financièrement. On se lance vraiment dans un tel projet parce qu’on y croit, pas pour faire fortune. Si je me lève tous les matins c’est parce que ce projet a du sens pour moi, l’argent n’a jamais été un moteur.
Qu’est-ce qui pourrait motiver quelqu’un à ouvrir une épicerie comme la tienne ?
Travailler avec des personnes convaincues de ce qu’elles font est tellement enrichissant et gratifiant: établir ce lien entre les producteurs et productrices et les clients et clientes. Je parle volontairement de LIEN et non d’intermédiaire, ce lien qui se perd quand on fait ses courses en grande surface. C’est vraiment motivant et gratifiant de se dire qu’on regroupe tout un travail accompli par plein de petits maraîchers et maraîchères passionné.es qui n’ont pas le temps d’ouvrir un self mais qui ont tout de même besoin d’un espace de vente. Avec l’épicerie, on crée cet espace de rencontre entre le terrain et les consommateurs et consommatrices, c’est très motivant.
Quelle a été votre stratégie commerciale au départ ?
Alors on n’est pas des stratèges, tout s’est fait un peu de façon organique sans avoir une vision préalablement définie. Le cœur de l’épicerie a toujours été l’étal de fruits et légumes, avec la volonté de garder leur prix bas dès le départ. Avec le temps, les pertes, le loyer, les frais d’emballage, on a dû se mettre à niveau mais cela reste complètement raisonnable comparé aux marges que se font Migros et Coop. Pour tout ce qui est des fruits et légumes, nous sommes 100% bio et généralement moins chers que la grande distribution, tout en respectant le tarif imposé par nos producteurs et productrices. On part de leurs prix pour établir les nôtres, ce sont eux qui imposent leur tarif car ils connaissent la valeur de leur travail, c’est non négociable pour nous.
« On part de leurs prix (celui des producteurs et productrices) pour établir les nôtres, ce sont eux qui imposent leurs tarifs car ils connaissent la valeur de leur travail, c’est non négociable pour nous. »
Pour les fruits et légumes, c’est vraiment intéressant de venir chez nous ou/et de commander nos paniers. Sur certains produits on n’est pas comparable à la grande distribution qui achète à la tonne et impose même son prix au marché, et pas comparable non plus aux produits importés. Les asperges d’Espagne seront toujours moins chères que celles de Genolier et c’est à chacun de faire ses choix en conscience.
Comment sélectionnez-vous vos producteurs? Et qu’entendez-vous par « locaux »?
On privilégie toujours les petits producteurs et productrices bio et locaux, s’ils ne travaillent pas en bio, on les choisit parce qu’ils respectent les critères de respect d’environnement et d’éthique qui correspondent à nos valeurs. On a beaucoup travaillé pour les sélectionner et on a beaucoup appris. Pour le local, on se réfère à la définition des locavores c’est-à-dire moins de 100 miles soit 160,9 km à la ronde France comprise. Le pourcentage de “local” dépendra évidemment de la saison mais on privilégiera toujours un fruit ou un légume de saison le plus proche de chez nous. Quand on crée un nouveau produit sur le site par exemple, on met l’adresse du producteur ou de la productrice (pas quand il s’agit de pâtes ou de riz bien sûr) et une pastille «local » s’ajoute automatiquement.
Comment votre offre a-t-elle évolué ? Comment vous êtes-vous adaptés ?
On a beaucoup repris ce que Patou avait déjà mis en place pour tout ce qui est fromages et viandes, on travaille avec ses fournisseurs. Puis on s’est posé la question: qu’est-ce que nous, on aurait besoin dans notre famille? Et on a mis en place un assortiment qui permet d’avoir un peu de tout. Ce qui est chouette aussi c’est quand les client.es nous font des propositions comme Christine (de agrarinfo) qui nous a fait découvrir le café lupin. Parfois cela ne correspond pas du tout à notre cahier des charges personnel, comme, par exemple, les compléments alimentaires ou les produits ultra transformés.
Comment gérez vous votre stock ?
On a un roulement efficace et une réserve saine. On est bien équipé avec des bacs alimentaires étanches. On fait des commandes raisonnées et raisonnables, on sait à peu près le temps d’écoulement d’un stock et les invendus représentent une petite perte. On s’approvisionne tous les jours en fruits et légumes et je commande vraiment ce dont j’ai besoin selon le principe: “ne pas accumuler pour ne pas jeter”.
Quelles sont vos perspectives au vu des conditions actuelles du marché ?
On veut prendre le temps de rendre notre lieu plus vivant, on a beaucoup d’idées qui prennent leur temps pour germer. On veut profiter de l’épicerie comme plateforme de communication. En ce moment par exemple, on est sur le point de lancer une bibliothèque participative parce qu’on s’est rendu compte que nos clients et clientes avaient besoin de s’informer, de comprendre les enjeux écologiques et économiques actuels. On ne veut pas être des moralisateurs, on ne veut pas non plus culpabiliser ni mettre la pression pour venir acheter chez nous. On souhaite aussi mettre sur notre site des liens pour des podcasts, des films pour les personnes intéressées car certains le demandent. C’est une façon simple et non contraignante de partager l’information. On veut donner les moyens à nos clients et clientes de réfléchir dans cette société du vite fait, vite accompli, vite réfléchi afin qu’ils et elles puissent développer un esprit critique.
À votre avis qu’est-ce qui fait qu’un client ou une cliente ne revienne pas ?
Il y a d’abord le prix pour certains produits puis les habitudes d’achat parfois difficiles à changer. Le temps est aussi un facteur limitant. Le vrac peut également freiner car pour certains produits il n’y a pas assez de choix. D’autres par contre vont trouver le vrac fantastique, ils découvrent avec nous que c’est possible et les clients et clientes sont vraiment content.e.s d’avoir cette alternative aux emballages en plastique, en verre et tout ce qui participe à augmenter nos déchets.
À l’instar d’autres micro entrepreneurs vous me semblez avoir un mode de vie bien équilibré, qu’est-ce qui vous sauve ?
On a une vie simple, on a la chance d’avoir un loyer bas et de manger en grande partie les pertes du magasin. Olivier continue à faire des sites internet, moi je travaille aussi quelques heures pour une association. On ressent beaucoup de gratitude de pouvoir faire ce qu’on fait et de faire un métier qui a du sens à nos yeux. On a toujours choisi un rythme de vie lent, pour nous la société actuelle va trop vite.
Quel est ton message de fin pour nos lecteurs et lectrices?
Ce que je souhaite vraiment c’est que les gens aient les moyens de bien réfléchir pour mieux consommer, qu’ils prennent le temps de faire leurs choix. Nous sommes là pour contribuer à ce que les consciences s’éveillent et que chacun prenne le temps de la réflexion.
Un beau message de fin qui correspond complètement à ce que nous, chez agrarinfo.ch, souhaitons également transmettre. Ensemble pour partager des connaissances et (r)éveiller des consciences.
Liens
Article sur les Locavores – Le Temps – 28.12.2012 – Je consomme “made in chez moi”
Médiathèque en ligne de C’est Patou