Le cache-cache du sucre: qui est responsable?
Le rôle de l’État dans la promotion d’une éducation à la nutrition de qualité et ce à tous les niveaux de la société (voir notre article sur l’Éducation à la nutrition) est majeur pour aller vers une société accès sur le préventif et sortir d’un système aujourd’hui encore trop focalisé sur le curatif. Il nous semble aussi essentiel que l’État permette à ses concitoyen.nes de vivre dans un environnement alimentaire adéquat à des prises de décisions raisonnables pour leur santé. Si l’être humain prend environ 240 fois par jour une décision liée à l’alimentation (boissons comprises), il ne faudrait pas que son choix se limite à “sucrerie ou chips” en se promenant en ville ou à la cantine scolaire. Le Conseil fédéral est aujourd’hui conscient du sujet et bon nombre de revendications lui ont été soumises, en particulier sur la thématique du sucre et sucres cachés. Nous vous invitons à comprendre en effet ce qui se cache derrière le sujet.
La santé: une affaire privée?
Le rapport de la cour des comptes de Genève en janvier dernier a eu le même constat: “il est nécessaire d’agir davantage sur les facteurs environnementaux qui influencent les comportements alimentaires et d’inciter la population à adopter des modes de vie moins sédentaires” et pourtant “Les actions de promotion de la santé axées sur l’alimentation et le mouvement apparaissent insuffisantes face à l’aggravation du problème (de surpoids et obésité)”. Il semble en effet aujourd’hui assez clair que l’État n’encourage pas suffisamment une politique de santé publique qui vise à réduire l’obésité et prévenir les maladies non transmissibles comme le diabète, les maladies cardio-vasculaires, la pression artérielle. Le refus du parlement en février 2023 de limiter la teneur en sucres de certains aliments est bien la preuve que la Suisse ne se mouille pas trop ou que le lobby de l’industrie agro-alimentaire a encore et toujours la mainmise sur ce type de décision (cf. notre article Nestlé – un danger pour la santé).
Alors que 45 pays dans le monde ont déjà pris des mesures en la matière et prouvé que les résultats sur la santé des citoyens étaient plus que probants, le conseil d’état les rejette prétextant que la déclaration de Milan qui demande de réduire de 10% le sucre dans les boissons suffit à la mise en place de mesures conséquentes. Mais cela ne reste que des mesures collectives sur une base volontaire des entreprises, ce qui est bien trop insuffisant. La conséquence directe en magasin: un demi-litre de Fanta en Suisse contient encore 51 g de sucres (simples comme le glucose, fructose, saccharose…) alors qu’en Grande-Bretagne le demi-litre n’en contient que 23 (cf. encadré pour des précisions sur les quantités mentionnées).
Une autre mesure phare pour avoir un impact sur la qualité nutritionnelle des produits de l’industrie et que la Suisse peine à mettre en place, ce sont les taxes sur les produits transformés néfastes pour la santé si consommés de façon quotidienne et abusive. Dans un rapport publié en 2016, l’OMS estimait qu’un renchérissement de 20% du prix des sodas par des taxes pourrait réduire d’autant la consommation de ces produits. Dans le monde, ce sont près de 80 pays qui ont introduit la taxe sur le sucre mais la Suisse continue de botter en touche, prétextant la responsabilité individuelle quand il s’agit de surpoids.
Les édulcorants: sans calories mais pas sans effets secondaires
La réglementation des étiquettes a été établie de telle manière que sous la mention “sucres” seuls les glucides simples sont comptabilisés. Les glucides simples sont les monosaccharides, soit le fructose, le glucose, le galactose et le mannose, ainsi que les disaccharides à savoir le lactose, le maltose et le saccharose (le fameux sucre blanc de table). Chacun a un pouvoir sucrant différent. Le fructose par exemple a un pouvoir sucrant très élevé par rapport aux autres, c’est pour cette raison que le sucre blanc (saccharose) est souvent remplacé par le fructose et notamment par le sirop de fructose obtenu à partir du maïs (high fructose corn sirup), peu onéreux, parfois génétiquement modifié, et surtout très sucrant: une aubaine pour l’industrie alimentaire.
Les édulcorants qui ont aussi un pouvoir sucrant fort (« édulcorer » signifiant sucrer ou adoucir) mais qui ne contiennent pas ou peu de valeur nutritive comme les glucides ne sont pas comptabilisés dans ces “sucres” sous la mention « glucides ». C’est pourquoi les industriels ont le droit de vendre certaines sucreries étiquetées “sans sucres” car sucrés uniquement à l’aide d’édulcorants, vous aurez compris qu’il s’agit là d’un leurre pour notre corps et surtout notre mental. Car leur impact sur le cerveau et nos habitudes de consommation d’aliments et boissons sucrés est loin d’être sans effet. Plusieurs études ont bien mis en évidence que les consommateurs réguliers d’édulcorants ont un IMC (Indice de Masse Corporelle) supérieur aux non-consommateurs. Et ce pour plusieurs raisons:
- l’effet light et Coca 0 qui donne bonne conscience et a pourtant pour conséquence que l’on consomme 2 fois plus,
- l’effet sucrant qui a tout de même cet effet psychologique de “reviens-y” et qui augmente les petites sensations de faim régulières dans la journée même si physiologiquement l’index glycémique (c’est-à-dire la variation de taux de glucose dans le sang) est minime voire nulle
- les édulcorants n’apportant aucune calorie, la masse manquante est alors généralement remplacée par d’autres nutriments tels que les lipides, 2 fois plus caloriques que les glucides (ex: les chocolats dits « light » trompeurs car la masse perdue en glucides est remplacée par des graisses au final beaucoup plus caloriques que le chocolat normal)
La consommation régulière d’édulcorants n’est donc pas sans conséquence. De plus, consommés en excès, et les taux limites sont vite atteints chez les enfants, il a un effet toxique, notamment laxatif, prouvé. Et ce qu’il faut retenir: tout aliment édulcoré n’est pas du tout exempt de calories alors attention au marketing attractif et mensonger. Il est nettement plus préférable de se déshabituer du goût sucré et de diminuer progressivement les doses pour constater un effet durable et positif sur la perte de poids.
l’État a un rôle à jouer
Il est vrai que l’être humain a cette fâcheuse tendance à vouloir trouver un coupable pour tout. Les graisses dans les années 80, aujourd’hui le gluten, le lactose et le sucre bien évidemment. Et l’Etat dans tout ca? Coupable aussi? Nous sommes conscients qu’il s’agit d’un ensemble d’enjeux, d’acteurs et de valeurs divergentes qui rendent les décisions complexes mais c’est un fait: il reste aujourd’hui simplement encore trop d’aliments contenant des sucres ajoutés (80% des aliments transformés industriellement en contiennent) et mis en vente à tous les comptoirs, des caisses de supermarchés en passant par les tea-rooms et toutes les buvettes du bord du lac. Un(e) habitant(e) suisse consomme en moyenne 1 kg de sucre par semaine et vit dans un environnement le ou la sollicitant sans cesse. Nous ne sommes que trop peu informé sur les risques liés à une consommation abusive de produits ultra-transformés associée à une mauvaise hygiène de vie.
Certes il en va de chacun d’entre nous, de s’informer et d’apprendre à dire non et à se respecter, néanmoins l’État a aussi une mission de prévention dans le domaine de la santé publique et en particulier auprès des plus vulnérables comme nos enfants, les personnes à bas revenus ou encore les sujets fragiles émotionnellement plus à même de tomber dans les comportements alimentaires déviants et les phénomènes d’addiction. La Suisse ne va pas jusqu’au bout de ses actions et reste encore trop frileuse. Même pour des indications sur l’emballage comme le « nutriscore », la Suisse ne met pas les moyens nécessaires pour faire campagne et faire de cet outil une vraie aide aux consommateurs. À quoi bon l’avoir mis en place? Qu’est-ce qui empêche donc l’État de contrôler davantage les listes d’ingrédients et donc la santé de ses citoyens?
Ne serait-ce que dans la prise en charge des patients en situation de surpoids ou obésité, le guide pratique diffusé par l’OFSP met encore aujourd’hui fortement l’accent sur la responsabilité individuelle. Or l’État pourrait aussi changer de paradigme en investissant par exemple dans le développement de la prise en charge interprofessionnelle des patients permettant ainsi d’optimiser la qualité des soins et son efficacité. L’utilisation et le partage des compétences de tous les professionnels de santé impliqués dans le suivi d’un patient, un système de soins en partenariat où chacun donne son avis et tire le meilleur de celui de ses collègues, c’est cela aussi la responsabilité collective incluant le patient et sa responsabilité individuelle.
Liens utiles:
Rapport de la cour des comptes du canton de Genève – Évaluation →
Confédération Suisse – Surpoids et obésité en Suisse →
Supervision des addictions et Maladies Non Transmissibles en Suisse – MonAM →
Swissinfo – Pourquoi la Suisse ne veut-elle toujours pas de taxe sur le sucre si doux en bouche → et Sans sucres ajoutés s’il vous plaît! →
Vidéo RTS – A Bon entendeur! – Phénomène d’addiction aux chips →
Revue médicale suisse – Les édulcorants →
Le sucralose (commercialisé sous le nom de Splenda): un édulcorant qui décomposerait notre ADN – Sucralose →